05 Juil Du rêve à la réalité
Nous sommes un lundi matin fin janvier 2019, à la Station Biologique de Roscoff dans le bureau de Colomban de Vargas face à la mer. L’objectif de notre réunion est de définir ce que nous souhaitons faire pour l’année à venir. Il est évidemment rapidement question de science, de développement technologique, de ressources humaines, mais aussi et surtout d’art et d’expositions.
En effet, le projet vit depuis quelques mois grâce à de l’argent apporté par la Fondation Total sur une thématique que l’on a intitulée : Plancton & Arts.
Depuis plusieurs années, nous réfléchissons à la conception d’une exposition qui nous permettrait de montrer les superbes images que nous produisons chaque jour au laboratoire. Un premier essai fait en Nouvelle-Zélande voilà presque 2 ans dans le musée de la Marine d’Auckland à l’occasion d’une grande réunion qui avait réuni tous les acteurs du projet pour une retraite de quelques jours nous en avait convaincus. Un second test réalisé l’été précédent avec uniquement des photos, à San Diego cette fois, avait lui aussi été un succès. Plusieurs artistes rencontrés au gré de nos embarquements sur la goélette Tara nous ont fait part de leur intérêt pour le plancton comme source d’inspiration pour leurs œuvres, et il y a surtout les Planktonautes qui veulent voir ce qu’ils collectent.
Pour faire une exposition, il faut définir ce que l’on veut montrer, quel message on souhaite faire passer. Et puis le lieu où l’on va montrer cette exposition, c’est lui qui va définir comment on va pouvoir faire passer ce message, quel public sera présent.
Nous sommes chanceux, un grand évènement est annoncé pour cette année 2019, il se déroulera à Nantes dans l’immense parc des expositions et sera consacré à 100% au milieu marin, son nom : LA MER XXL. 100 000 visiteurs annoncés sur deux semaines début juillet. La décision est prise en quelques minutes : on y va et je serai le chef d’orchestre de ce beau projet.
Nous sommes déjà en février, le temps passe très vite, j’ai réservé un espace de 100m2 dans un hangar avec moquette (pas le choix on nous l’impose), une arrivée électrique et 15m de hauteur sous plafond. Pour le reste, j’ai plein d’idées, mais il faut voir comment on va pouvoir les réaliser…
Nouvelle réunion à Roscoff, le moment est important, il faut trancher, choisir ce que l’on fait. Nous nous étions accordés pour travailler sur le thème de la cellule et des organismes unicellulaires, c’est un aspect assez peu développé jusqu’ici en exposition et sur lequel nous avons de nombreux éléments grâce au travail de Sébastien Colin en imagerie.
J’explique à Colomban mon idée de scénographie : un grand géodôme, genre 8m de large et 6m de haut. Il rappellera la structure d’un radiolaire, on le repèrera de loin. Tout autour, des images de plancton pour montrer la diversité et, à l’intérieur, des images uniquement d’unicellulaires, avec des vitrines et des squelettes imprimés en 3D. En dehors du dôme, un grand cabinet de curiosité avec des planctons de verre fait par un artiste-verrier, et une grande table de 5m par 3 en forme de donut pour montrer du plancton vivant avec nos prototypes de microscopes. Toute l’exposition est imaginée modulaire et très facilement transportable.
Colomban me laisse terminer, me regarde calmement et me dit : « Tu sais que tu n’as que 4 mois pour créer cette exposition, que tu es tout seul et que ton budget est au maximum de 40 000 € tout compris. Ce n’est pas surréaliste ? ». Aïe, il a raison… ça serait en effet bien plus cohérent et raisonnable de faire une exposition sur des panneaux avec des photos et de prévoir une table classique pour les démonstrations de microscope… L’idée que je viens de présenter coûte davantage dans les 120 000 €…
Ma réponse : « Exactement ! et c’est parce que c’est surréaliste qu’on va le faire ! ». On sourit, mais je vois bien que personne n’est rassuré.
On est début mars, il est 8h du matin. Je suis devant l’écluse du port de plaisance de Morlaix, face à un hangar de couleur noire où est inscrit : Ponton Z, brasserie artisanale Da Bep Lec’h. Non cette idée folle ne m’a pas fait sombrer dans l’alcool, je vous rassure. Mais grâce à la petite famille Plankton Planet, je ne suis plus seul pour réaliser ce projet fou. David Le Guen m’a rejoint. Son atelier est à l’étage de ce hangar qui est un espace partagé. Étonnamment, je n’ai pas eu beaucoup de difficulté à le convaincre de me suivre dans cette aventure. David est designer, artiste et maker hors pair. Sa passion c’est de créer, de fabriquer et évidemment de naviguer. Il a déjà travaillé pour Plankton Planet avec Thibaut Pollina pour la création du premier prototype de microscope, le PlanktoScope.
On a face à nous un travail colossal à accomplir, les défis sont multiples…
Première chose, le dôme, on a décidé de le faire fabriquer par un jeune entrepreneur Adrien Van Robaeys, car le temps est contre nous. On aurait adoré le faire nous-mêmes, mais nous devons nous consacrer à un autre défi de taille : fixer de façon régulière des tableaux tout autour d’une demi-sphère en toute sécurité avec un éclairage individuel. Cela parait simple à première vue, mais on va y passer un mois entier, avec des journées de 10-12h à concevoir, tester, échouer, puis finalement réussir ! L’objet final n’est pas simple à produire, il nous faut ne nombreuses heures de découpe à la fraiseuse CNC (machine à commande numérique), réaliser des pièces en impression 3D et ensuite assembler tous ces éléments entres eux.
Mais ce n’est pas tout, il faut aussi fabriquer les lampes en impression 3D elle aussi. 30 lampes au totale avec pour chacune pas moins de 7h d’impression soit 9 journées de 24h !! Pour le cabinet de curiosité, on fabrique une étagère alvéolaire en forme de nids d’abeille. Chaque jonction est fabriquée là aussi en impression 3D. Nous devons en fabriquer 122 soit de nouveau 250h d’impression. Il y a aussi les vitrines à fabriquer, les socles en bois, la table, des chaises… La tâche est titanesque.
Avril est déjà passé, nous sommes mi-mai. Nous sommes tous les deux épuisés, nous n’avons pas pris un seul jour de repos depuis de longues semaines. Nous avons très bien avancé, mais il reste encore énormément de choses à faire. Nous avons demandé de l’aide à toute l’équipe de Plankton Planet, aux amis et conjoints qui ont tous répondu présents et viennent nous rejoindre chaque soir pour assembler, vernir, poncer les pièces que nous avons réalisées dans la journée. Mais il faut se rendre à l’évidence, nous n’y arriverons pas, il nous faut un troisième homme.
Ce sera Jeremy Guyard, un très bon ami de David, il rentre tout juste de navigation, il est manuel et l’atelier n’a pas de secret pour lui. C’est amusant, car la maman de Jeremy c’est Nicole, et elle travaille à la Station Biologique de Roscoff, c’est la bibliothécaire qui pendant ma thèse m’a souvent aidé dans mes recherches de livre ou d’article scientifique. Le monde est petit !
Ça y est, on est début juin, dernière ligne droite, le stockage des éléments de l’exposition commence, c’est rassurant. Mais une grande inconnue demeure : comment rendra notre dôme ? N’avons-nous pas commis d’erreurs ? En effet, pour le moment, nous n’en savons rien, car le dôme n’a pas encore été livré, ni même fabriqué, nous allons le recevoir directement à Nantes au moment du montage ! Tout est encore spéculations…
Lundi 24 juin 2019, c’est le grand jour, c’est aussi jour de canicule sur la France, il fait dans les 40°C à l’ombre. Nous venons de charger deux fourgons de 15 m3 avec toute l’exposition direction Nantes. Toute l’exposition, pas tout à fait, il nous manque encore la pièce maîtresse, le dôme qu’Adrien vient nous livrer sur place. Première étape, le montage du dôme. Nous en avons pour une journée complète à quatre. Ça sent bon le bois coupé, le montage est visuel, c’est excitant.
Mardi 25 juin, fin d’après-midi, le résultat est là sous nos yeux, immense et élégant, il ne nous reste plus qu’à l’habiller de plancton.
Les premiers pas sont stressants, mais nos calculs ont été justes, tout fonctionne à merveille ! Doucement, nous nous rassurons. Il nous faudra pas moins de 6 jours pour achever ce premier montage de l’exposition, le tout sous une chaleur de plomb. Mais nous sommes heureux et fiers. Le projet Plankton & Arts par Plankton Planet est né !
Noan Le Bescot, coordinateur Plankton & Arts