Nouvelle publication scientifique dans Science

Après trois ans de navigation et d’étude des zones baignées de lumière des océans planétaires, les chercheurs du consortium Tara Oceans dévoilent une diversité insoupçonnée chez les organismes unicellulaires eucaryotes aussi appelés protistes. Le séquençage de près d’un milliard de codes-barres génétiques a montré que les protistes sont largement plus diversifiés que les bactéries ou les animaux, et que la plupart d’entre eux appartiennent à des groupes peu connus de parasites, de symbiontes, et de prédateurs en tout genre. Ces résultats changent radicalement notre vision de la diversité biologique et fonctionnelle du plancton mondial, écosystème-clef pour le fonctionnement de notre biosphère.

Le plancton océanique représente le plus grand écosystème planétaire, qui a généré l’oxygène de l’atmosphère bien avant l’apparition des plantes terrestres, qui aujourd’hui encore produit autant d’oxygène que l’ensemble des forêts, et participe aux grands cycles biogéochimiques et donc à l’équilibre climatique. Dans cette étude, les chercheurs ont déchiffré et analysé près d’1 milliard de séquences d’ADN ribosomique, issues de 334 sites d’échantillonnage, qui correspondent à des marqueurs de la biodiversité des eucaryotes, des plus petits organismes unicellulaires.

La grande quantité de code-barres génétiques générés a tout d’abord permis de caractériser la quasi-totalité des espèces eucaryotes du plancton de la zone photique, approchant la saturation de la biodiversité à la fois globale, et localement dans chacune des 334 communautés analysées. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence autour de 150,000 types génétiques de plancton eucaryote, ce qui représente une diversité insoupçonnée par rapport aux environ 11,000 espèces décrites jusqu’à présent. La grande majorité des types génétiques répertoriés n’a pas de référent proche dans les bases de données génétiques actuelles, démontrant que ces organismes sont pour la plupart non-répertoriés et incultivables. Un tiers de la diversité génétique n’a même pu être associé à aucunes des grandes lignées eucaryotiques reconnues aujourd’hui.

Parmi les types génétiques pouvant être classés dans l’arbre de la vie eucaryote, la plupart correspondent à des organismes unicellulaires ou protistes, avec une diversité phénoménale de parasites, d’espèces symbiotiques, et de prédateurs en tout genre. Les organismes photosynthétiques, qui transforment l’énergie solaire en matière vivante, sont, quant à eux, bien moins diversifiés, plus petits, et représenteraient une biomasse largement plus faible. Les groupes les plus diversifiés et abondants correspondent à des lignées d’organismes qui sont en interaction (du parasitisme au mutualisme) et forment ensemble des super-organismes et des écosystèmes complexes basés sur les multiples relations entre espèces plutôt que sur la compétition pour les ressources et l’espace.

Maintenant que la base biologique et écologique du plancton photique marin est établie, il va falloir comprendre comment ce grand corps planctonique, qui déploie la totalité des lignées de l’arbre de la vie dans chaque litre d’eau de mer à l’échelle planétaire, se réorganise en fonction des paramètres physiques et chimiques de l’eau, et s’acclimate et s’adapte aux changements climatiques. Les réponses à ces questions sont essentielles pour prédire les transformations à venir de la productivité des océans, et les effets des changements du plancton sur les grands équilibres biogéoclimatiques de notre biosphère.